code de l'environnemenLes deux textes mettant en place le  « certificat de projet » sont parus au Journal officiel:

l’ordonnance n°2014-356 du 20 mars 2014 relative à l’expérimentation d’un certificat de projet.

le décret n°2014-358.

Cette nouvelle réforme transversale est censée réduire les délais, rationnaliser le nombre d’interlocuteurs et accroitre la sécurité juridique. L’expérimentation est lancée sur trois ans. Le principe apparaît simple… en apparence: sur la base des informations fournies par le porteur de projet, le préfet de département délivre dans un délai de deux mois un certificat de projet dans lequel il s’engage

– sur les procédures auxquelles le projet sera soumis au titre de différentes réglementations dont il relève.

– et sur les délais dans lesquels les décisions relevant de la compétence de l’État seront rendues.

Selon le rapport afférent à l’ordonnance, le certificat présenterait l’intérêt de « cristalliser » le droit applicable à la date du certificat si une demande d’autorisation est déposée dans un délai de 18 mois  (prorogeable de 6 mois: article 3, II de l’ordonnance). Déjà, certains croient que « les opérateurs économiques disposeront d’une vision claire du cadre juridique dans lequel s’inscriront leurs projets avec la garantie que ces règles ne changeront pas pendant la durée de cette « cristallisation » ».

Mais à l’analyse des deux textes, nombreuses sont les questions soulevées et rares sont les réponses évidentes…. gageons que la sécurité juridique des projets concernés devienne encore plus aléatoire qu’avec le système actuel.

En synthèse, voici ce qu’on sait à la lecture des textes:

Le certificat de projet est une simple faculté laissée aux opérateurs. L’expérimentation est pour l’heure limitée aux Régions Aquitaine, Franche Comté et Bretagne. Le délai d’entrée en vigueur est fixé au 1er avril 2014, sauf pour la région Bretagne dans laquelle le dispositif entre en vigueur au 1er septembre 2014.

Les opérations pouvant faire l’objet du certificat de projet sont les ICPE (sauf les élevages s’agissant de la Bretagne, on ne s’en étonnera pas), les lotissements (dans la région Franche Comté seulement) et les « installations, ouvrages, travaux destinés à l’accueil d’une ou plusieurs entreprises ». Notons que cette dernière catégorie est particulièrement floue et ne renvoie à aucun texte législatif ou réglementaire (d’ailleurs, le texte soumis à consultation publique était autrement rédigé : »projets d’installations, d’ouvrages ou de travaux destinés à l’accueil d’une ou plusieurs entreprises industrielles, commerciales, agricoles, touristiques ou artisanales ;« ).

La cristallisation du droit applicable, qui a été voulue sur le modèle du certificat d’urbanisme (qui peut être demandée au même temps, article 1er, II, 3° et article 4 du décret du 20 mars 2014), bénéficiera aux décisions prises en matière :

  • d’autorisation d’exploiter une installation de production d’électricité (titre 1er, Livre III du code de l’énergie);
  • de IOTA (loi sur l’eau, articles L 214-1 et suivants du code de l’environnement);
  • de dérogation à l’interdiction de destruction d’espèces protégées ou d’habitat (articles L411-1 et suivants du code de l’environnement) et de zones Natura 2000 (articles L414-1 du code de l’environnement);
  • d’ICPE (article L511-1 et suivants du code de l’environnement);
  • de défrichement (articles L341-1 et suivants du code forestier);
  • d’ERP (L111-8 du code de la construction et de l’habitation).

La cristallisation pourra être abandonnée par le pétitionnaire s’il considère que l’évolution des dispositions législatives et réglementaires applicables lui est plus profitable que le maintien des règles anciennes. Présentée comme un instrument souple, on verra cependant qu’elle n’est pas sans interroger…

La demande de certificat peut se faire par voie électronique (article 1er, I du décret du 20 mars 2014) et elle comporte a minima (le Préfet de département pouvant compléter les pièces requises par un arrêté): – L’identité du demandeur ; – La localisation, la nature et les caractéristiques principales du projet ; – Une description succincte de l’état initial des espaces concernés par le projet et ses effets potentiels sur l’environnement.

En l’état, le dispositif est séduisant: les opérateurs souhaitent pouvoir disposer du maximum de visibilité, à la fois sur les règles applicables (qui changent bien trop souvent) et sur les délais d’instruction (en dehors de quelques cas comme l’urbanisme, aucun délai impératif d’instruction n’est prévu, en particulier pour les ICPE où l’on sait que le délai de trois mois parès la clôture de l’enquête peut ne pas être respecté: jurisprudence Tchijakoff de 1995).

Mais le juriste ne pourra qu’être interloqué par toute une série de questions qui surgissent immédiatement à la lecture de l’ordonnance, et que le décret ne résout pas.

On peut d’abord logiquement se demander si le certificat de projet n’est pas encore générateur d’un risque contentieux, puisque des recours y seront intentés.

– Recours d’un tiers qui contesterait l’appréciation du Préfet quant aux procédures auxquelles le projet est soumis, les zonages applicables et en particulier l’absence de nécessité d’obtenir une décision de dérogation au principe d’interdiction de destruction d’espèces protégées.

– .. mais aussi recours du demandeur lui même. Cette hypothèse n’est pas une vue de l’esprit, puisqu’à considérer qu’un porteur de projet ait vu un intérêt au certificat de projet, ce dernier pourrait devoir contester le certificat qui conclurait à la nécessité ou non de déposer un dossier « espèces protégées » et encore plus un certificat qui « porterait à sa connaissance les aspects du projet d’ores et déjà détectés comme pouvant faire obstacle à sa réalisation ou sur lesquels des modifications devront être apportées« ! Un tel certificat tuerait dans l’œuf un projet, alors même que seule une instruction aboutie, avec l’avis de services spécialisés peut en principe porter un regard éclairé, si défavoirable, sur un projet. On doute qu’en simplement deux mois, des projets tels que des ICPE soumises à autorisation/autorisation de défricher/dérogation aux espèces protégées/permis de construire puissent être suffisamment connus de l’administration pour en conclure qu’un obstacle à sa réalisation est caractérisé.

Contentieux il y aura alors… mais lequel?

En principe, les opérateurs le savent bien, le contentieux ICPE est un contentieux dit de « pleine juridiction ». Cela suppose qu’outre ses pouvoirs étendus (possibilité de prononcer des sanctions, de modifier l’arrêté d’autorisation etc….), le juge administratif des installations classées apprécie la légalité des décisions prises en la matière AU REGARD DES CIRCONSTANCES DE FAIT ET DE DROIT EXISTANT A LA DATE OU IL STATUE. C’est une différence majeure avec le contentieux de « l’excès de pouvoir », dans lequel la légalité des actes est appréciée en fonction des faits et du droit existant à la date des actes.

Or, comment concilier le contentieux de pleine juridiction des ICPE avec le régime du certificat de projet qui prétend « cristalliser » le droit applicable à la date du certificat?

Loin d’être une question anodine, un exemple en particulier permet de s’en convaincre:

Imaginons un projet industriel faisant l’objet d’un certificat de projet à la date du 1er septembre 2014 par exemple. Le droit applicable sera celui en vigueur à cette date. Une évolution défavorable du droit applicable intervient en octobre 2014.
L’arrêté ICPE qui interviendra par exemple le 1er février 2015 sera toutefois délivré sur la base du droit en vigueur au 1er septembre 2014 grâce la « cristallisation ». Un recours est intenté par un tiers contre le certificat de projet, et celui ci est annulé en 2016 par le Tribunal administratif. L’annulation étant rétroactive, la « cristallisation » tombe principe, et un recours contre l’arrêté ICPE, suivant les principes classiques en plein contentieux, conduira le juge à analyser la légalité de l’arrêté au regard des règles de droit intervenues postérieurement à l’acte.

La sécurisation n’est dans cette hypothèse qu’un leurre, et c’est loin de constituer une hypothèse d’école vu le syndrome NIMBY qui imprègne certaines ICPE.

Même si le certificat de projet n’est pas attaqué, mais que l’arrêté ICPE fait l’objet d’un recours contentieux: le requérant sera tenté de soulever « par exception » l’illégalité du certificat.. On sait cependant que le juge administratif est réticent à admettre ce genre d’argument en matière ICPE (on pense notamment au contentieux des mises en demeure). Reste qu’une confrontation de deux textes est ici regrettable: d’un côté on souhaite « cristalliser » le droti applicable, de l’autre, le plein contentieux des ICPE est la règle prévue par la loi…. cela conduit même à se demander si s’agissant des installations classées, l’ordonnance (qui a aujourd’hui faute de ratification une valeur supra décrétale, donc réglementaire) ne viole pas la loi.

Au rang des autres questions qui ne manquent pas de se poser, est celle du champ couvert par la cristallisation. Autrement dit, les « dispositions législatives et réglementaires » qui seront figées par le certificat de projet couvriront elles suffisamment le champ juridique susceptible de s’appliquer? On pense notamment aux éoliennes et aux pseudo-règles de la Défense au sujet de l’implantation des aérogénérateurs par rapport aux radars (dont on sait qu’elles ont été qualifiées de servitude sans texte par un courageux arrêt de CAA récemment).

Par ailleurs, une lecture attentive de l’ordonnance montre que les règles ne seraient de toute façon pas si figées que ca: ainsi, l’article 3, IV de l’ordonnance prévoit que si « de nouvelles règles de fond » entrent en vigueur, alors le texte qui contient ces nouvelles règles pourra prévoir leur application immédiate ou dans un certain délai, voire être appliquées par un arrêté complémentaire du Préfet; les limites entourant cette possibilité sont telles qu’elles vident de sens, à notre avis, l’intérêt de la prétendue « cristallisation ».

Enfin, il faut bien voir que l’administration ne s’engage pas de trop. On tente de rassurer les opérateurs en prévoyant la « responsabilité de l’administration » découlant des mentions portées sur le certificat. La réalité risque d’être plus cruelle, puisque l’administration ne se prononce qu’au regard des informations fournies dans la demande de certificat de l’opérateur, le délai d’instruction maximal donné ne l’est que « sous réserve de prorogations et d’interruptions », et évidemment afin de garantir la primauté du droit international  et du droit de l’Union européenne, comme les impératifs d’ordre public, la cristallisation ne jouera pas.

En bref, la justiciabilité du certificat de projet, la naissance de nouvelles questions cruciales en matière d’application dans le temps du droit applicable comme les nombreuses réserves et exceptions assortissant le dispositif tendent à (très) fortement le relativiser.

Des certificats de projet pourront être délivrés sur le fondement de l’ordonnance jusqu’au 31 mars 2017.

 

Stéphanie GANDET

Avocat Associé

Green Law Avocat