Biogaz: plusieurs jugements intéressants en PC, ICPE et dérogation « espèces protégées » (TA Nantes et TA Bordeaux, mai 2023)

Par Maître Stéphanie GANDET, Avocate associée, Spécialisée en droit de l’environnement (Green Law Avocats)

Les contentieux contre les unités de production de biogaz sont de plus en plus fréquents mais les annulations d’autorisations sont rares.

Plusieurs jugements ont été rendus dans des dossiers du cabinet en ce début de mois de mai 2023 par :

Ils rejettent tous les requêtes des opposants, mais surtout ils apportent des éclairages intéressants pour la filière méthanisation, en matière de


Le cabinet défendait dans ces affaires trois sociétés réunissant les groupements d’agriculteurs et dont les autorisations faisaient l’objet de recours.

1- Pas de dérogation « espèces protégées » nécessaire pour l’unité de méthanisation sur une parcelle agricole

En premier lieu, dans un jugement du 2 mai 2023 (TA Nantes, 2 mai 2023, n°2108124), le Tribunal administratif de Nantes fait application, pour la première fois à notre connaissance en matière d’unité de méthanisation, de l’avis du Conseil d’Etat du 9 décembre 2022 (n°463563) précisant les conditions pour lesquelles une dérogation espèce protégée est nécessaire ou non.

Rappels juridiques de la dérogation espèces protégées

Pour rappel, le pétitionnaire doit solliciter une dérogation à l’interdiction de destruction d’espèces ou d’habitat lorsque des espèces protégées sont présentent dans la zone du projet.

Aux termes de l’article L. 411-2 du Code de l’environnement, la dérogation espèce protégée peut être accordée sous réserve :

Application aux unités de méthanisation

Si cette question est souvent évoquée contre les parcs éoliens, elle reste toutefois rare en ce qui concerne les unités de méthanisation qui présentent à cet égard moins d’enjeux.

Mais ici, cette question avait été soulevée contre une autorisation environnementale obtenue par un groupement d’exploitants agricoles portant un projet biogaz (au-delà des seuils de 100t/jour au titre de la rubrique 2781 de la nomenclature ICPE).

Il était soutenu qu’une dérogation « espèces protégées » était requise compte tenu du fait que de telles espèces protégées avaient été contactées aux abords du site.

Nous avions, avec le porteur de projets et l’appui de bureaux d’études tiers, cherché à démontrer en quoi une telle dérogation n’était pas nécessaire par application des critères de l’avis du Conseil d’État.

Après des débats nourris, le Tribunal administratif de Nantes fait application de l’avis du Conseil d’État précité, et estime en l’espèce qu’il n’est pas nécessaire pour le porteur de projet de solliciter une dérogation espèces protégées :

« 36. Il résulte de l’instruction, notamment de la note produite par le pétitionnaire et relative aux impacts du projet sur la faune et la flore, datée du 20 janvier 2023, que sont présentes ou potentiellement présentes sur le site plusieurs espèces protégées et que, pour certaines d’entre elles, le projet présente des incidences qualifiées de modérées, de fortes ou très fortes, compte tenu notamment de la proximité de corridors écologiques secondaires et d’une zone humide .

Toutefois, il résulte de cette étude que les mesures d’évitement et de réduction retenues dans le dernier état du projet, tenant notamment à la préservation des haies, à la plantation de haies bocagères supplémentaires, à l’instauration d’une bande tampon de végétation entre ces haies et les constructions, à l’absence de travaux nocturnes, à l’adaptation du calendrier des travaux, les travaux lourds devant être interdits entre le 15 mars et le 15 août inclus, à la limitation des ornières et flaques, à la pose d’une clôture imperméable à la petite et grande faune lors de la phase de chantier, à la limitation des niveaux sonores et du trafic de véhicules, et à l’absence de pollution lumineuse, présentent un caractère réalisable, adapté et suffisant pour réduire effectivement et significativement les incidences résiduelles du projet sur la biodiversité. 

Les requérants, qui se prévalent notamment d’une note méthodologique d’un expert, n’apportent pas d’éléments suffisants de nature à remettre sérieusement en cause les conclusions de cette étude réalisée par le porteur de projet en janvier 2023. 

Dans ces conditions, et compte tenu des prescriptions complémentaires que comporte l’arrêté attaqué, le risque pour les espèces protégées présentes sur le site, n’est pas suffisamment caractérisé. Par suite, le moyen tiré de ce que l’autorisation méconnaît les articles L. 411-1 et L. 411-2 du code de l’environnement, faute de comporter une demande de dérogation à l’interdiction de détruire ou de perturber des espèces protégées, doit être écarté. »

Le tribunal applique l’avis du Conseil d’Etat en relevant que les mesures prises présentent un caractère réalisable, adapté et suffisant pour réduire effectivement et significativement les incidences résiduelles du projet sur la biodiversité.

2- La suffisance de l’état initial écologique de l’étude d’impact au regard des faibles enjeux de la parcelle agricole

En deuxième lieu, dans la même décision (TA Nantes, 2 mai 2023, n°2108124), le Tribunal administratif apporte des précisions sur la suffisance de l’étude d’impact, et en particulier la durée des inventaires écologiques sur le site.

Pour rappel, l’article R. 122-5 I du code de l’environnement dispose que le contenu de l’étude d’impact doit être « proportionné à la sensibilité environnementale de la zone susceptible d’être affectée par le projet, à l’importance et la nature des travaux, installations, ouvrages, ou autres interventions dans le milieu naturel ou le paysage projetés et à leurs incidences prévisibles sur l’environnement ou la santé humaine ».

L’étude d’impact doit comprendre en outre un inventaire des incidences notables que le projet est susceptible d’avoir sur la biodiversité (article R. 122-5 II 5°, Code de l’environnement).

Un passage d’écologue à une période propice peut être suffisant

Le jugement rappelle ici la durée de cet inventaire doit être proportionnée à la sensibilité environnementale du site (TA Nantes, 2 mai 2023, n°2108124), puisqu’il était critiqué le fait qu’une seule visite du site avait eu lieu (au printemps).

Le jugement estime que:

« 18. En cinquième lieu, s’agissant des incidences du projet sur la biodiversité du site, il résulte de l’instruction que le terrain d’assiette du projet, vaste prairie cultivée de graminées classée en zone agricole par le plan local d’urbanisme, ne fait pas l’objet d’une protection particulière. Ainsi, en dépit de l’identification dans le plan local d’urbanisme de corridors secondaires de biodiversité à proximité immédiate au nord-est et d’une zone humide de l’autre côté de la voie au sud-est du terrain d’assiette, celui-ci ne présente en lui-même qu’un intérêt écologique faible.

Seules les haies qui le bordent présentent un enjeu au regard de la conservation de la faune et de la flore. L’étude d’impact, qui comporte un inventaire écologique réalisée au cours d’une période de l’année adaptée, mentionne la présence dans ces haies d’espèces protégées, et conclut que, dès lors que ces habitats seront préservés, les impacts du projet « seront faibles ». Ainsi, le contenu de cette étude d’impact, s’agissant de l’inventaire des espèces et des incidences du projet sur la faune et la flore et des incidences du projet sur la biodiversité du site, quand bien même cet inventaire a été réalisé sur une courte période, est proportionné à la sensibilité environnementale de celui-ci. »

Cela avait déjà donné lieu à un éclairage par la CAA de NANTES dans une autre affaire que nous avions défendue pour une unité de méthanisation, reconnaissant qu’un seul passage d’écologues pouvait suffire en fonction des enjeux de la zone (CAA Nantes, 7 février 2020, n°18NT03612 : « Si la prospection sur le terrain n’a été effectuée que lors d’une journée, cette circonstance ne saurait établir une insuffisance de cette étude dès lors qu’elle concerne une parcelle agricole uniforme cultivée, notamment pour les betteraves ou le colza. Ce diagnostic précise la méthodologie qui a été suivie.[…] ».

Si le terrain d’assiette du projet présente un faible intérêt écologique (par exemple, une vaste prairie cultivée classée en zone agricole) et qu’il est avéré que les enjeux de la zone sont faibles, la durée de l’inventaire écologique peut être inférieure à 4 saisons car cela est proportionné aux enjeux.

3- Tous les vices de l’étude d’impact ne conduisent pas à une illégalité : le juge peut les neutraliser avant d’envisager une régularisation

En troisième lieu, autre point intéressant des décisions du 2 mai 2023 (TA Nantes, 2 mai 2023, n°2108124), le juge administratif fait un rappel utile de l’application prioritaire (sur une éventuelle régularisation) de la jurisprudence Danthony à l’occasion de l’analyse de la suffisance de l’étude d’impact, conformément à la jurisprudence du Conseil d’État.

En effet, aux termes de sa jurisprudence désormais bien connue dite « Danthony », le Conseil d’Etat avait dégagé le principe selon lequel une décision administrative affectée d’un vice de procédure n’est illégale que si ce vice a été susceptible d’exercer une influence sur le sens de la décision prise ou qu’il a privé l’intéressé d’une garantie (CE, 23 décembre 2011, n°335033).

Sont ainsi considérés comme des vices non substantiels les inexactitudes, omissions ou insuffisances d’une étude d’impact qui n’ont pas eu pour effet de nuire à l’information complète de la population ou qui ne sont pas de nature à exercer une influence sur la décision de l’autorité administrative.

Par ailleurs, dès lors que le vice entachant l’étude est établi comme étant non substantiel, le juge du fond doit privilégier l’application de la jurisprudence Danthony plutôt que la régularisation de l’étude d’impact (CE, 27 février 2015, n°382502). Le Conseil d’Etat adopte ici une approche pragmatique des vices de forme et de procédure entachant l’étude d’impact.

Rappel récent de cette hiérarchie Danthony / régularisation par le Conseil d’Etat

Cette jurisprudence a par ailleurs été récemment rappelée par le Conseil d’Etat dans un arrêt remarqué du 1er mars 2023. Ainsi, l’arrêt d’une Cour administrative d’appel qui invite le pétitionnaire d’une autorisation à solliciter une mesure de régularisation, sans « rechercher au préalable si les insuffisances constatées avaient eu pour effet de nuire à l’information complète de la population ou été de nature à exercer une influence sur la décision de l’autorité administrative », est entaché d’une erreur de droit (CE, 1er mars 2023, n°458933).

Cette approche a justement été reprise par le Tribunal administratif de Nantes dans son jugement n°2108124 du 2 mai 2023.

En effet, le Tribunal administratif de Nantes constate que l’étude d’impact ne mentionne pas d’une part, la compatibilité du projet au plan climat air énergie territorial applicable et d’autre part, la présence supposée d’un radon dans le sous-sol du terrain d’assiette du projet. Il juge alors que l’absence de ces éléments dans l’étude d’impact n’est pas de nature à avoir nui à l’information du public ou d’avoir eu une incidence sur le sens de la décision (TA Nantes, 2 mai 2023, n°2108124).

4- Sur les critères de basculement de l’enregistrement ICPE vers la procédure d’autorisation

Un argument quasi systématique contre des arrêtés d’enregistrement ICPE (en particulier en biogaz) tient à ce que la demande aurait du « basculer » en autorisation.

Or, un tel basculement ne peut être décidé par le Préfet que dans certains cas limitatifs prévus par la loi (article L. 512-7-2 du code de l’environnement) :

« Le préfet peut décider que la demande d’enregistrement sera instruite selon les règles de procédure prévues par le chapitre unique du titre VIII du livre Ier pour les autorisations environnementales :

1° Si, au regard de la localisation du projet, en prenant en compte les critères mentionnés à l’annexe III de la directive 2011/92/UE du 13 décembre 2011 concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement, la sensibilité environnementale du milieu le justifie ;

2° Ou si le cumul des incidences du projet avec celles d’autres projets d’installations, ouvrages ou travaux situés dans cette zone le justifie ;

3° Ou si l’aménagement des prescriptions générales applicables à l’installation, sollicité par l’exploitant, le justifie. »

Dans un des jugements du 3 mai 2023, le Tribunal administratif de Nantes étudie de manière très méthodique ces critères et exclut l’argument des requérants.

Sur la localisation, il retient le fait que le terrain d’assiette du projet est sur une parcelle cultivée située à l’intersection de deux routes et à proximité d’un élevage, classée en zone agricole du plan local d’urbanisme et qui ne présente aucun cours d’eau à proximité, s’ouvre au nord et à l’ouest sur un vaste espace agricole et peu densément bâti dont l’environnement ne fait l’objet d’aucune protection particulière qui démontrerait l’existence d’une sensibilité environnementale ou paysagère particulière, et qui ne constitue ni une zone de captage d’eau, ni partie d’un périmètre de protection d’un tel captage, ni une zone humide.

D’autre part, il ne résulte pas de l’instruction que ce terrain d’assiette serait inclus dans une entité hydrologique à parties libres et captives ni que la présence d’eaux souterraines y aurait été constatée. Enfin, quand bien même la perméabilité du sous-sol du terrain d’assiette de nature karstique est significative, cette seule sensibilité hydrogéologique ne suffit pas dans les circonstances de l’espèce à justifier la réalisation d’une étude d’impact. Ainsi, la zone d’emprise directe de l’installation présente de faibles enjeux d’un point de vue environnemental.

Sur les caractéristiques du projet,  le tribunal détaille les éléments permettant de conclure que les caractéristiques de l’impact potentiel du projet au regard des spécificités de son environnement, de son ampleur, et de sa complexité ne sont pas susceptibles d’avoir des incidences telles qu’elles justifieraient la réalisation d’une étude d’impact (biofiltre, moyens de lutte contre l’incendie, traitement des eaux…)

Le tribunal rejette donc l’argument sur l’absence de basculement en procédure d’autorisation.

Cela rejoint les jurisprudences de plus en plus fréquentes qui opèrent une appréciation concrète, au cas par cas, en vérifiant la sensibilité environnementale en fonction des critères de la directive et des caractéristiques du projet.

5- Nouveau rappel (nécessaire) de la distinction entre un cours d’eau et un drain agricole

Un jugement rendu par le TA de Bordeaux le 4 mai 2023 apporte quant à lui un rappel bienvenu de la distinction entre « cours d’eau » et drain agricole… la confusion de la part des requérants étant fréquente, avec des conséquences juridiques associées

Cet article impose une distance réglementaire de 35 mètres entre les installations de méthanisation et les « puits et forages de captage d’eau extérieurs au site, des sources, des aqueducs en écoulement libre, des rivages et des berges des cours d’eau, de toute installation souterraine ou semi-enterrée utilisée pour le stockage des eaux destinées à l’alimentation en eau potable, à des industries agroalimentaires ou à l’arrosage des cultures maraîchères ou hydroponiques ».


Le Tribunal administratif conclut en l’espèce que cette distance ne s’applique pas au drain agricole, qui ne doit pas être confondu avec un cours d’eau (TA Bordeaux, 4 mai 2023, n°2105782).

Toujours dans le cadre de l’analyse de l’article L. 512-7-2 du Code de l’environnement sur le basculement en autorisation, le Tribunal administratif de Bordeaux estime aussi que la présence d’un cours d’eau en limite du site d’une unité de méthanisation n’est pas de nature à justifier la réalisation d’une évaluation environnementale, dès lors que les prescriptions prévues à l’article 30 de l’arrêté de prescriptions générales du 12 août 2010 sont respectées (c’est-à-dire, prévoir des réservoirs de matières suffisamment grands pour éviter tout risque de pollution d’eau accidentelle) (TA Bordeaux, 4 mai 2023, n°2105782).

Précisément, il indique que les distances et les mesures de maîtrise du risque ne justifieraient pas de basculement :« L’association requérante soutient que le projet aurait dû être instruit comme une demande d’autorisation, en raison de la présence de la rivière du xxx. Il ressort du dossier de demande d’enregistrement que l’unité de méthanisation doit être implantée sur les parcelles cadastrées xxx de la commune de xxxx, sur une surface totale de 4,6 hectares. La valorisation du biogaz obtenu par méthanisation se fera par injection dans le réseau de la société Gaz réseau distribution de France (GRDF), le raccordement étant situé à environ 17,4 km au nord du terrain d’assiette. L’unité de méthanisation traitera des matières d’origine agricole et, notamment, des tontes de pelouses, et le digestat sera valorisé pour la fertilisation des sols. Le dossier de demande d’enregistrement précise que le [cours d’eau] se trouve en limite de site, qu’aucun ouvrage contenant de la matière organique ne sera installé à moins de 35 mètres du cours d’eau et que les travaux ne seront pas effectués sur le cours d’eau. Ainsi que le fait valoir le préfet, la sensibilité des rives du [cours d’eau] a été prise en compte, et notamment le risque de pollution accidentelle, dès lors que, conformément aux dispositions de l’article 30 de l’arrêté du 12 août 2010, rappelées au point 7, la capacité du plus grand réservoir est de 3 746 m3, la capacité totale des réservoirs associés est de 4 796 m3, et le volume de rétention des matières est de 4 485 m3, permettant ainsi de limiter la pollution accidentelle résultant d’une rupture de cuve. Ainsi, les caractéristiques du projet et sa localisation ne justifiaient pas que la demande soit instruite comme une demande d’autorisation, et le moyen doit être écarté. ».

Ces différents exemples montrent que si les contentieux restent fréquents, la capacité des bénéficiaires des autorisations à défendre techniquement leur dossier, à bien anticiper les critiques sur les enjeux fréquents (eau, odeur, trafic…) et à améliorer si besoin leurs dossiers réglementaires est souvent la clé de d’une validation des autorisations.