Biogaz / construction: responsabilité du constructeur en l’absence d’immixtion du maître d’ouvrage compétent techniquement (CA Limoges, 21 mars 2019)

Fermenter, Endlager - Bau Biogasanlage

Par Me Stéphanie GANDET et Me Valentine SQUILLACI – Green Law Avocats (membre de Biogaz Vallée, et ATEE Club Biogaz)

Les litiges de conception et de construction des unités de méthanisation sont l’occasion de plus en plus fréquente d’affiner les règles en matière de responsabilité des constructeurs.

Le principe est notamment que les choix opérés par le Maître de l’Ouvrage (le client) ne constituent pas une immixtion fautive de nature à exonérer l’entreprise générale de sa responsabilité dès lors que le Maître d’Ouvrage et son assistant ne disposent pas de compétences techniques particulières dans le domaine concerné.

C’est ce principe, déjà bien connu en droit de la construction, que vient de rappeler à l’occasion d’un litige relatif à une unité de méthanisation agricole, la Cour d’appel de LIMOGES par un arrêt du 21 mars 2019 (CA Limoges, Chambre Civile, 21 mars 2019, n°18/01029).

En l’espèce, la société V. et la société B…. ont été chargées, en tant que groupement d’entreprises, de réaliser une unité de méthanisation à la ferme,

  • la première étant chargée du lot « Coordination et process »,
  • la seconde du lot « cogénération, équipements, circuit biogaz et eau chaude ».

Suite à une expertise judiciaire ayant permis d’identifier des défauts de conception (sous-dimensionnement de la trémie notamment), le Maître d’Ouvrage a assigné la société V. et le liquidateur de la société B. afin d’obtenir réparation des dommages subis.

Les premiers juges ont retenu la responsabilité de la société V. pour l’ensemble des désordres et non conformités, en sa qualité de mandataire solidaire du groupement.

A l’appui de son appel, la société V. a notamment fait valoir devant la Cour d’Appel de LIMOGES que sa responsabilité ne pouvait être engagée dès lors que les dysfonctionnements de l’unité résultaient de choix opérés par le Maître de l’Ouvrage et son Assistant à Maîtrise d’Ouvrage (AMO), la société S..

La Cour d’Appel a rejeté cet argument en considérant qu’ « outre le fait qu’il n’est pas démontré que le maître de l’ouvrage et son assistant disposaient d’une compétence technique particulière en matière de process de méthanisation, il appartenait à la société V., professionnelle spécialisée en ce domaine et tenue à ce titre d’un devoir de conseil, d’appeler leur attention et d’émettre des réserves, voire même de refuser d’exécuter des travaux non conformes à ces règles, ce dont la société V. ne justifie pas ».

Cette solution, qui peut apparaitre comme relativement sévère pour l’entrepreneur, est en droite ligne avec le droit positif et la jurisprudence rendue en la matière.

En effet, et bien que l’intervention du maître d’ouvrage qui n’a en principe aucun rôle à jouer dans la conception technique et la réalisation des ouvrages, constitue une incursion dans la sphère exclusive des constructeurs (ce que les juridictions désignent par le terme « immixtion »), cette immixtion n’est considérée comme fautive que s’il existe une compétence propre du maître d’ouvrage.

A défaut de compétence propre du maître d’ouvrage (le client), l’immixtion n’est pas de nature à exonérer le constructeur d’une part de sa responsabilité.

Autrement dit, il n’y pas d’immixtion fautive en l’absence de compétence notoire du client / maître d’ouvrage, dans le domaine technique concerné.

Ainsi, à l’instar de la Cour d’Appel dans l’arrêt commenté, la Cour de Cassation considère que même si le maître d’ouvrage a donné des « instructions précises et contraignantes, supérieures à celles d’un profane », le constructeur n’est pas déchargé de sa responsabilité s’il n’est pas démontré que le maître d’ouvrage était « notoirement compétent en la matière » (Cass, 3e civ., 9 juin 1980,  n°78-15.178)

Cette solution est retenue régulièrement, que le maître d’ouvrage ait choisi les matériaux (3e civ., 3 novembre 1983, n°82-14.077 ; 3e civ., 21 février 1984, 82-15.337) ou les ait achetés lui-même (3e civ., 7 mars 1990, 88-14.866).

Le constructeur doit ainsi, pour s’exonérer de sa responsabilité, démontrer que le Maître d’ouvrage qui s’est immiscé dans les travaux disposait d’une compétence technique « dans chacun des domaines concernés par les désordres » (Civ. 3e, 11 déc. 1991, n° 87-14.020 – pour un exemple de décision retenant la compétence notoire du maître d’ouvrage : 3e civ., 24 mars 191, 69-13.294).

C’est donc ce principe que la Cour a appliqué en l’espèce.

Cette décision démontre donc bien que, quel que soit le niveau de compétence du Maître d’Ouvrage et de l’AMO, le constructeur et le maître d’œuvre doivent, pour se prémunir et pouvoir éventuellement se décharger de leur responsabilité, émettre des réserves expresses, voir refuser de réaliser les travaux si les choix imposés par la maîtrise d’ouvrage leurs semblent inadaptés. C’est particulièrement le cas des installations de méthanisation agricole.

Cette règle ne trouvera sans doute pas à s’appliquer en revanche, pour des maîtres d’ouvrages réputés professionnels dans le domaine concerné par chaque désordre. Un client simple « professionnel de la méthanisation » ne sera pas automatiquement vu comme tel au regard des différentes ingénieries mobilisées sur une unité biogaz qui peuvent connaitre des désordres distincts.