Autorisations d’urbanisme : même illégale, la demande de pièces complémentaires proroge le délai d’instruction

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Par Maitre Lou DELDIQUE

(Green Law Avocat)

En matière d’autorisations d’occupation des sols (déclaration préalable, permis de construire, permis d’aménager ou permis de démolir), le code de l’urbanisme prévoit la naissance d’une décision implicite d’acceptation en l’absence de notification d’une décision expresse de l’administration dans le délai d’instruction (C. urb., art. R. 424-1).

Ce délai peut toutefois être prorogé par une demande de pièces manquantes du service instructeur (C. urb., art. R. 423-38 et s.), et l’article R. 423-39 précise qu’à défaut de production de l’ensemble des pièces dans un délai de trois mois, la demande fait l’objet d’une décision tacite de rejet ou d’opposition.

Mais que se passe-t-il lorsque cette demande est illégale ? C’est précisément la question à laquelle répond l’arrêt commenté (CE, 9 décembre 2015, n°390273, téléchargeable ici)

En l’espèce, la société requérante, qui avait déposé un dossier de déclaration préalable en vue de construire une station de téléphonie mobile, s’était vu notifier une demande de pièces manquantes par l’administration. Les pièces demandées n’étant pas au nombre de celles limitativement énumérées par le code de l’urbanisme, elle ne les avait pas produites, et sa demande avait fait l’objet d’un arrêté d’opposition de la part du maire.

Saisi d’une demande de suspension de cette décision, le Tribunal administratif de Poitiers avait considéré que la notification de pièces manquantes était illégale et qu’elle n’avait par conséquent pas pu proroger le délai d’instruction. Pour le juge des référés de première instance, il en résultait que la société pétitionnaire était titulaire d’une décision de non-opposition tacite, la décision expresse du maire constituant alors un retrait illégal.

Notons que cette solution avait déjà été retenue par d’autres juridictions. Statuant en matière de permis modificatif, la Cour administrative d’appel de Lyon avait ainsi jugé que :
« Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que M. B…et la SCI Terres Blanches ont déposé leurs demandes de permis de construire modificatif portant sur une maison d’habitation le 31 mai 2010 ; que, par courriers du 25 juin 2010, des pièces complémentaires leur ont été demandées ; que, toutefois, les décisions de demande de pièces complémentaires du 25 juin 2010 ne comportent pas la mention des nom et prénom de leur signataire, en méconnaissance des dispositions précitées de la loi du 12 avril 2000 ; que, dès lors, et alors que rien n’indique que le signataire serait l’agent à contacter pour obtenir des informations dont le nom est indiqué, ces décisions n’ont pu avoir pour effet de modifier le point de départ du délai d’instruction ; que, par suite, aucune décision expresse n’ayant été notifiée dans le délai de deux mois suivant le dépôt des demandes de permis, M. B…et la SCI Terres Blanches se sont trouvés bénéficiaires, à l’expiration de ce délai, de permis de construire tacites ; qu’il s’ensuit que les arrêtés en litige du 16 novembre 2010 doivent être regardés comme procédant au retrait de ces permis de construire tacites » (CAA Lyon, 17 juin 2014, n° 12LY22801 ; voir aussi TA Nice, 6 févr. 2015, n° 120362)

Le Conseil d’Etat valide la première étape du raisonnement du Tribunal et précise que le délai d’instruction ne peut effectivement être interrompu par une demande de pièces manquantes que si celle-ci :
– intervient dans le délai d’un mois prévu par l’article R. 423-38 du code de l’urbanisme ;
– et porte sur l’une des pièces limitativement énumérées par ce code.

Cependant, il considère que les conséquences de l’illégalité de cette demande ne sont pas celles qu’ont retenues les premiers juges :
« Considérant qu’il résulte de ces dispositions qu’une décision de non-opposition à déclaration préalable naît un mois après le dépôt de celle-ci, en l’absence de notification d’une décision expresse de l’administration ou d’une demande de pièces complémentaires ; que ce délai est interrompu par une demande de pièces manquantes adressée au pétitionnaire, à la condition toutefois que cette demande intervienne dans le délai d’un mois et qu’elle porte sur l’une des pièces limitativement énumérées par le code de l’urbanisme ; que si l’illégalité d’une demande tendant à la production d’une pièce qui ne peut être requise est de nature à entacher d’illégalité la décision tacite d’opposition prise en application de l’article R. 423-39 du code de l’urbanisme, elle ne saurait avoir pour effet de rendre le pétitionnaire titulaire d’une décision implicite de non-opposition ; »

Ainsi, la Haute Juridiction estime que la demande de pièces complémentaires illégale a malgré tout pour effet de proroger le délai d’instruction, faisant ainsi obstacle à la naissance d’une décision de non-opposition tacite.

Cette solution confirme une récente jurisprudence (CE, 8 avr. 2015, n° 365804), en vertu de laquelle l’annulation d’une demande de pièces manquantes ne rend pas le demandeur titulaire d’un permis tacite ou d’une décision implicite de non-opposition, et ne fait pas disparaître la décision tacite d’opposition qui est née en l’absence de transmission des pièces demandées. Le pétionnaire doit donc confirmer sa demande auprès de l’autorité compétente, qui dispose alors d’un nouveau délai pour se prononcer sur la demande.

On ne manquera pas d’observer que le régime instauré par ces deux arrêts va à l’encontre de solutions déjà dégagées dans des situations pouvant paraître relativement comparables : il a ainsi déjà été jugé que lorsque l’administration notifie un délai d’instruction erroné (CAA Marseille, 20 mars 2015, n° 13MA03325 ; CAA Lyon, 5 nov. 2013, n° 13LY01217 ; CAA Versailles, 19 nov. 2009, n° 08VE01792 ; CE, 7 juill. 2008, n° 310985) ou qu’elle indique à tort qu’une décision de refus tacite naîtra à l’issue du délai d’instruction (CE, 25 juin 2004, n° 228437 ; CE, 17 nov. 1999, n° 180320), le courrier est inopposable au pétitionnaire, et sans incidence sur la naissance d’une décision implicite.