Application de la jurisprudence Czabaj aux recours contre les autorisations d’urbanisme

Termin vereinbaren vektor ilustrationPar Maître Lou DELDIQUE, Avocat of counsel – GREEN LAW AVOCATS (lou.deldique@green-law-avocat.fr)

 

Par un arrêt en date du 9 novembre 2018 (consultable ici), le Conseil d’Etat a étendu sa jurisprudence Czabaj (CE, 13 juillet 2016, n°387763) aux recours introduits contre les autorisations d’urbanisme.

Rappelons en effet qu’en 2016, la Haute Juridiction avait :

  • Précisé qu’une décision administrative individuelle dont la notification ne mentionne pas les voies et délais de recours ne peut être indéfiniment contestée,
  • Et avait, de manière tout à fait prétorienne, fixé le délai raisonnable dans lequel le requérant peut, en l’absence de circonstances particulières, agir, à un an.

Inspirée du principe de sécurité juridique reconnu par le Conseil d’Etat dans sa décision KPMG de 2006 2006 (CE, 24 mars 2006, n°288460), cette solution a depuis été transposée à différents types de contentieux administratifs (voir pour le contentieux fiscal : CE, 31 mars 2017, n°389842 ; pour le contentieux des titres exécutoires : CE, 9 mars 2018, n°401386 ; pour le contentieux indemnitaire : CE, 9 mars 2018, n° 405355 ; pour l’exception d’illégalité d’un acte individuel : CE, 27 février 2019, n° 418950 ; pour les décisions implicites de rejet : CE, 18 mars 2019, n°417270).

En matière d’autorisations d’urbanisme, le délai de recours des tiers est soumis à un régime spécifique et il ne court qu’à compter du premier jour d’affichage sur le terrain d’un panneau répondant aux critères énoncés à l’article R.424-15 du code de l’urbanisme (pour plus de précisions sur ce point, voir notre analyse ici) pendant une période continue de deux mois (CU, art. R. 600-2).

Il en résulte que lorsque l’affichage sur site est irrégulier, le délai de recours ne commence pas à courir, et les tiers peuvent contester l’autorisation jusqu’à 6 mois après l’achèvement des travaux (CU, art. R. 600-3, dans sa version issue du décret n°2018-617 du 17 juillet 2018).

Dans l’arrêt commenté, le Conseil d’Etat limite ce délai raisonnable de recours à une période d’un an à compter du début de l’affichage sur le terrain.

En l’espèce, les requérants avaient saisi le Tribunal administratif de Versailles en 2014 en vue d’obtenir l’annulation d’un permis de construire de 2007. Pour justifier de la recevabilité de leur action, ils faisaient valoir que l’affichage sur site avait été accompli de manière irrégulière, puisque la mention relative au délai de recours était erronée.

Les premiers juges avaient toutefois considéré que le recours était irrecevable, faute d’avoir été introduit dans un délai raisonnable.

L’arrêt confirme cette solution, et précise l’articulation de la jurisprudence Czabaj avec les dispositions de l’article R. 600-3 précité :

 

« Considérant que le principe de sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause sans condition de délai des situations consolidées par l’effet du temps, fait obstacle à ce que puisse être contesté indéfiniment par les tiers un permis de construire, une décision de non-opposition à une déclaration préalable, un permis d’aménager ou un permis de démolir ; que, dans le cas où l’affichage du permis ou de la déclaration, par ailleurs conforme aux prescriptions de l’article R. 424-15 du code de l’urbanisme, n’a pas fait courir le délai de recours de deux mois prévu à l’article R. 600-2, faute de mentionner ce délai conformément à l’article A. 424-17, un recours contentieux doit néanmoins, pour être recevable, être présenté dans un délai raisonnable à compter du premier jour de la période continue de deux mois d’affichage sur le terrain ; qu’en règle générale et sauf circonstance particulière dont se prévaudrait le requérant, un délai excédant un an ne peut être regardé comme raisonnable ; qu’il résulte en outre de l’article R. 600-3 du code de l’urbanisme qu’un recours présenté postérieurement à l’expiration du délai qu’il prévoit n’est pas recevable, alors même que le délai raisonnable mentionné ci-dessus n’aurait pas encore expiré ; »

Ainsi, en cas d’affichage irrégulier :

  • Les tiers ne peuvent agir au-delà d’un délai raisonnable d’un an à compter du premier jour d’affichage de l’autorisation ;
  • Mais si les travaux sont terminés, alors leur recours ne pourra être introduit que jusqu’à six mois à compter de l’achèvement des travaux.

Cette solution connait selon nous deux tempéraments : si le pétitionnaire n’a procédé à aucun affichage, alors le recours des tiers reste indéfiniment possible ; et le délai prévu par l’article R.600-3 n’est opposable que si une déclaration d’achèvement de travaux a été faite en mairie.